Direction musicale Hartmut Haenchen
Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Décors et costumes Malgorzata Szczesniak
Lumières Felice Ross
Dramaturgie Miron Hakenbeck
Vidéo Denis Gueguin
Chorégraphie Saar Magal
Styliste perruque Robert Kupisz
Chef des Choeurs Winfried Maczewski
Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
Amfortas Alexander Marco-Buhrmester
Titurel Victor von Halem
Gurnemanz Franz Josef Selig
Klingsor Evgeny Nikitin
Kundry Waltraud Meier
Parsifal Stig Andersen
Zwei Gralsritter Gunnar Gudbjörnsson, Scott Wilde
Vier Knappen Hye-Youn Lee, Louise Callinan, Jason Bridges, Bartlomiej Misiuda
Klingsors Zaubermädchen Adriana Kucerova, Valérie Condoluci,
Cornelia Oncioiu, Yun-Jung Choi, Marie-Adeline Henry, Louise Callinan
Eine Altstimme aus der Höhe Cornelia Oncioiu
Le spectacle commence cependant assez mal: l'acte I est long à demarrer, c'est le plus long (1h40) et les intentions peinent à prendre sens tout de suite, d'où un spectateur abreuvé de signes auxquels il n'arrive pas encore à donner une cohérence, mettant ainsi sa patience à l'épreuve; de plus la direction d'acteur est assez intermittente, le récit de Guernemanz par exemple ne semble pas avoir inspiré Krysztof Warlikowski: les chanteurs sont en rang d'ognions sur des chaises et ce sont les projections vidéos derrière eux qui meublent.
Prenons la mise-en-scène chronologiquement: la salle est dans le noir total (même la fosse d'orchestre où le chef dirige avec une baguette à diode lumineuse) puis la scène s'éclaire progressivement; la première projection est celle d'un extrait de 2001 Odyssée de l'espace, où l'on voit un personnage (l'accompagnateur dans la mise en scene que l'on retrouve au II et au III - le type qui ressemble à Andy Warhol) dans la chambre au sol lumineux s'attabler pendant qu'un autre semble mourrant sur le lit (évidemment Amfortas), un verre tombe de la table et se brise au sol. Le I s'ouvre sur un écran, où une main d'enfant écrit et gomme consécutivement "amour", "foi" et "espérance"; devant cet écran se trouvent des chaises, l'ecran se lève ou se décalle pour montrer Amfortas sur un lit d'hopital subissant une opération puis assisté de medecins; le récit de Guernemanz se déroule devant cet écran; puis c'est au milieu d'un amphithéâtre d'école de medecine qu'est brandit le cygne tué par Parsifal, amphithéatre qui va effectuer un tour complet et nous réapparaître ensuite les bancs peuplés de la confrèrerie qui n'est hélas pas assez nombreuse pour les remplir, symbole de sa moribonderie. La cérémonie du Graal va se dérouler devant cet amphithéatre sur une table couverte d'une nappe blanche, dirigée par Amfortas en bequilles revêtu d'une toge d'apparat et par Titurel en fauteuil roulant. Sur la tranche de l'amphithéatre se trouvent des lavabos dans lesquels Guernemanz vient se laver les mains avant la cérémonie. La cérémonie s'acheve, l'amphithéatre se retourne. Guernemanz replit la nappe puis renvoie Parsifal qui n'a rien capté du tout.
Le dispositif est intelligent: il symbolise la souffrance d'Amfortas de façon contemporaine et immédiatement saisissable, la marotte sanitaire de Warlikowski est enfin à sa place dans un opéra qui parle sans cesse de pureté et l'assemblée de médecins/chevaliers impuissants à guérir Amfortas forme un théâtre sacré entièrement tourné vers la révelation, le "dévoilement" (enthüllen) du Graal source de vie pour Titurel et de souffrances pour Amfortas qui, blessé comme le Christ, en ressens la passion (si j'ai bien compris). Au terme de cet acte, un constat: l'aseptisation comme forme contemporaine du sacré, on peut trouver à y redire, mais ça fait sens et puis on ne va pas non plus jusqu'à nous dire que Klingsor c'est le Sida :o)
L'acte II est plus réussi car il bénéficie des pistes lancées dans le I, pistes qui permettront au III de fonctionner sans presque rien apporter de neuf, une sorte Parsifal retrouvé après l'ombre des jeunes filles (en) fleurs (aïe - ça m'apprendra à faire des clins d'oeils trop appuyés). On est donc chez Klingsor tout de rouge vêtu qui tripote allègrement Kundry, des fois qu'elle serait tentée de devenir aussi pure que ses copains du Graal, le propos est assez classique et efficace, Klingsor persuade Kundry par la chair. Arrivent les filles fleurs habillées en tenues provocantes des années 30 et coiffées de perruques blondes bien tape-à-l'oeil, assises à des petites tables isolées les unes à coté des autres sur lesquelles se trouvent des petites lampes à abat jour rouge qui clignotent pendant le moment le plus intense de la scène (franchement avec tous ces détails, vous vous y croiriez hein?); on voit Parsifal assis au milieu de l'amphithéatre en arrière scène derrière un écran de gaze, à l'appel des filles fleurs il arrive, elles le séduisent langoureusement, le déshabillent et l'attachent sur une chaise. Arrive Kundry qui le délie puis l'entraine sur un lit; au moment de l'embrasser, Parsifal la repousse violemment et s'extrait de son etreinte au souvenir de la blessure d'Amfortas. Pendant leur superbe duo, la direction d'acteur est un peu plus lache et se repose trop sur la musique et la référence aux Damnés de Visconti (j'y reviens pas de panique!), il faut tout de même noter le miroir de la coiffeuse près du lit, dans lequel Parsifal force Kundry à se regarder pour interroger sa nature. A la fin de l'acte, après l'echec de la séduction de Kundry, Klingsor apparait dans les bancs de l'amphithéâtre (prêt à porter le coup de grace à la confrèrerie), Parsifal est devant, Kundry à l'avant-scène, au milieu, à terre. Parsifal se signe et une lumière laser rouge vient signifier la destruction du chateau, cette lumière est en croix évidemment au pied de laquelle se trouve Kundry/Marie-Madeleine, elle passe par Parsifal et les deux rayons se croisent sur Klingsor. Les lumières se rallument brusquemment, au milieu de l'amphithéâtre on trouve attablé l'accompagnateur que rejoint Parsifal, ce premier brise à terre le verre. Rideau.
C'est dans les costumes qu'est la clé de cet acte, tout y est une référence aux Damnés de Visconti (pas évidente d'ailleurs, si on ne me l'avait pas dit...): le costard de Parsifal (alors qu'au I il était habillé en bleu de travail) puis son humiliation en sous-vêtements, les robes de ces dames et leurs perruques qui jouent la ressemblance avec Ingrid Thullin, la mère incestueuse du film, mère incestueuse que va essayer d'être Kundry (perruque rousse>> Marie Madeleine, la diabolique, Hérodias...) en appelant Parsifal par son nom, lui révelant son histoire, l'amour de sa mère, puis en tentant de lui faire croire que sa délivrance viendra de l'etreinte. La référence aux Damnés permet de cerner le personnage de Kundry, mère et amante; mais Warlikowski se repose trop dessus en négligeant la direction d'acteurs. Tout repose donc sur la clé de cette référence qui n'est ni accessible à tous (tout le monde n'a pas vu ce film) ni clairement présentée. De plus, comme toute référence plaquée de l'exterieur, elle a ses limites et est impuissante à rendre le passage où Kundry raconte son éclat de rire devant le Christ, heureusement que Waltraud est là, elle fascine tellement qu'on en oublie que rien dans la mise en scene ne l'accompagne alors.
Quoiqu'il en soit, cet acte est une grande réussite, tant visuellement (éclairages et costumes somptueux) que dans la force d'impact du propos.
L'acte III (oui c'est le dernier, rassurez-vous, de toute façon si vous me lisez encore, c'est que vous êtes prêts à en reprendre une couche), débute dans le plus profond silence sur une citation de Rossellini évoquant l'amour de la vie à propos de son film Allemagne année zéro, dont la scène du suicide de l'enfant est projetée, toujours dans le silence (n'étaient les huées ahurissantes d'une partie abrutie du public, voire plus bas). L'écran se lève avec le début de la musique, on decouvre à l'avant-scène un potager, Kundry étendue dans les plantes les cheveux grisonnant avec une grande meche blanche, Guernemanz assis à la table des cérémonies à Cour, le cercueil de Titurel à Jardin. En fond de scène, l'amphithéâtre vide, juste devant une masse humaine étendue au sol dans un manteau marron sur laquelle tombent lumière et neige. Guernemanz va reveiller Kundry, la masse se lève, elle porte une immense lance de bois, c'est Parsifal. Kundry le dévêtit, le sert (du thé issu de la bouilloire en alu en guise d'eau bénite) puis lui laver les pieds et les essorer avec ses cheveux (Marie Madeleine, encore une fois). Le miracle du Vendredi Saint ne se distingue pas, n'étaient les paroles, on ne le remarquerait pas, la mise en scène baigne toujours dans une douce lumière, en cela je trouve d'ailleurs que la scène s'accorde bien avec la musique dans laquelle aucune soudaine effusion ne vient non plus signaler le miracle. Parsifal tout en blanc s'assied à la table des cérémonies, l'amphithéâtre s'avance en milieu de scène avec sur ses bancs les chevaliers agités qui baignent dans un bleu electrique, Amfortas apparait sur ses bequilles, pousse violemment le couvercle du cercueil, arrache ses vêtement, Parsifal se lève alors et pose la lance sur sa blessure, c'est Kundry qui vient donner l'impulsion à la base de la lance. Là encore, cette image fait sens, Kundry celle qui a perdu Amfortas, qui est responsable de sa blessure et de ses souffrances devient celle qui, une fois baptisée par Parsifal, le sauve, se redime, par l'intermédiaire de Parsifal; elle prend ensuite Amfortas dans ses bras, l'Accompagnateur passe, se lave les mains et se met au centre de l'Amphithéâtre.
Le final est splendide: pendant que Guernemanz s'assied auprès du cercueil qu'il referme, Kundry ne meure pas elle aide à mettre le couvert sur la table de cérémonie où elle va manger avec Parsifal, Amfortas et l'enfant (j'explique en dessous). On peut être déçu par cette scène qui semble bourgeoise, banale à coté de l'apothéose du livret, mais elle est plus chrétienne que le livret. Plutôt que de doubler la musique en représentant la gloire du nouveau roi dans la lumière du Graal (qui n'est d'ailleurs, au I déjà, qu'un gobelet dans une boite rouge sans intérêt), Warlikowski choisit de nous montrer l'humilité des personnages dans la pauvreté de la scène, de la Cène; humilité de la condition sociale du Christ, humilité à laquelle sont réduits les chevaliers qui ne se nourrissent plus que des plantes qu'ils font pousser comme le dit Guernemanz, humilité du thé servi par Kundry. Cette image est infiniment plus touchante et juste que celle attendue: la religion y est simple lien entre les hommes et non pas pompe ecclésiastique. Les modestes bougies du candelabre sont plus fortes que la lumière extérieure du Graal qu'on a déjà bien assez vu dans cette mise en scène. La simplicité irradie.
Pour terminer, un mot sur les projections parfois interessantes (les dessins d'arbres qui se multiplient, qui se transforment en Graal; l'émasculation de Klingsor...) parfois creuses (le dessin du cheval de Kundry galopant avant la levée de l'écran qui découvre une Kundry à califourchon sur un cheval d'arçon!) mais qui trouvent tout à fait leur place dans une Gesamtkunstwerk wagnerienne (le Tristan de Sellars/Viola l'avait déjà admirablement démontré). L'interêt de ces projections n'est révélé qu'au début du III avec la projection du suicide du petit garçon, l'enfant est une figure qui traverse toute la mise en scene: c'est sa main qui écrit "amour", "foi" et "espérance", ce sont ses dessins aussi rudimentaires que violemment symboliques qui sont projetés pendant le récit de Guernemanz, c'est lui qui jette des boules de papier sur Klingsor au II, c'est lui enfin qui se suicide dans le Rossellini, qui arrose le potager et vient mettre le couvert avec Kundry au III. Et c'est là que je fais appel à votre sagacité: si je comprends qu'il soit un symbole de l'avenir, de la relève, celui à qui l'on doit apprendre à aimer la vie comme le dit Rossellini, j'ai du mal à donner un sens cohérent à toutes ses interventions; pareillement je n'arrive pas à élucider la figure de l'Accompagnateur, il faut dire que je connais mal 2001.
Au final une magnifique mise en scene de Warlikowski donc, qui mérite que l'on s'y accroche dès le début, pas une mise-en-scène qui se laisse comprendre aisément non plus, mais c'est son intérêt, de même que pour comprendre certains tableaux il faut les observer pendant des heures, ce spectacle vivant ne se laisse pas élucider simplement. Si vous n'aimez pas aller voir du Delfo ou achetez l'audioguide :-p
Pour l'aspect musical, il me sera difficile d'être aussi prodigue puisque je découvrais entièrement la musique (quoique non j'ai du écouter une fois le duo Kundry/Parsifal au II avec la Callas dirigée par Gui, je sais pas si ça compte...). Hartmut Haenchen dirige l'orchestre de l'opéra magnifiquement, soutient à merveille les passages dramatiques du II et donne toute sa valeur aux moments de contemplation pendant lesquels l'attention musicale ne faiblit jamais; les choeurs sont bien plus mesurés et moins beuglards qu'à l'habitude, j'ai beaucoup aimé.
Stig Andersen remplaçait Christopher Ventris malade: sa prestation fut très bonne, une voix bien maitrisée et émise, jamais de dégoulinade, toujours audible, on regrettera juste un certain manque de caractère qui lui fait jouer plus aisément le sot du I que le roi du III, mais cela s'explique sans doute par sa méconnaissance de la mise-en-scène.
Waltraud Meier fut électrisante: bien reposée après avoir annuler la précédente représentation elle donne le meilleur d'elle même, tout serait à citer, même son registre aigu qu'on dit défaillant (et pour cause, ce n'est plus une jeunette) fut stupéfiant, ah cet aigu sur "laaaaachte", pointu comme la lance qui va blesser le Christ, elle fascine pendant tout le duo du II et ne donne jamais l'impression de hurler (pourtant avec une partition pareille je le lui pardonnerai aisément!) et elle reste parfaitemet audible sur toute la tessiture, ahurissant!
Franz-Josef Selig est un superbe Guernemanz, puissant, paternel et quotidien, chaque mot semble être la resonance d'une profonde sagesse; l'Amfortas d'Alexander Marco-Burhmester ne démérite pas, il est captivant dans sa scène du III, la faible humanité, souffrante et belle, incarnée; le Titurel de Victor von Halem impressionne par la profondeur de ses graves et sa sonorité, c'est le genre de rôle où le chanteur doit d'autant plus impressionner qu'il dispose de peu de texte. On ne peut malheureusement pas en dire autant d'Evgeny Nikitin, qui fait preuve d'un louable emportement, mais n'impressionne jamais, sa voix semble trop legère, sans impact, et dessine un méchant de pacotille: on a du mal à voir là le magicien qui a fait tant de mal et qui maitrise une Kundry pourtant capable de l'écraser d'une note. Très bons seconds rôles également, notemment des filles fleurs idéalement cristallines et ravissantes, de vraies sirènes.
Un mot pour terminer sur la bêtise de la partie du public qui hue chaque soir pendant la projection du Rossellini: donner de telles mise-en-scènes à ces crétins, c'est donner des perles aux cochons, non seulement ils gachent de façon éhontée le plaisir des autres spectateurs, mais ils affichent ouvertement leur connerie, il n'y a pas d'autres mots. On savait déjà une partie du public d'opéra angoissé par le silence au point de s'empresser d'applaudir, souvent intempestivement, on le sait maintenant angoissé par la reflexion: j'en veux pour preuve les remarques qui ont fusé ce soir là (je passe sur les "Ceci est subventionné Mesdames et Messieurs!"; les "Wagner!" ou "Parsifal!" indignés; "Warlikowski assassins"; "bandes de connards" ou "Mortier p'tite bite" qui ont été entendus certains soirs, ils ne méritent même pas les pixels avec lesquels je les ai recopiés): le classique "Remboursez!" aussi stéréotypé que déplacé à ce moment du spectacle, je vois bien le type au guichet demander à ce qu'on le rembourse parce qu'il n'a pas aimé les 3 minutes de film sur les 4 heures de spectacle (crétin!); un "Mais quel est le rapport?!", le type accuse ici le metteur en scene de sa propre bêtise (je ne comprends pas, c'est donc que le metteur en scene est con, brillant, avec des raisonnements pareils Kant est un demeuré) et enfin un très fin "Où est la télécommande?" de la part d'un couillon qui ne fait visiblement pas la différence entre le cinéma et la télévision, quant à lui parler de Gesamtkunstwerk... J'accepte tout à fait que l'on puisse ne pas aimer cette mise-en-scène, mais dans ce cas on hue à la fin, pas pendant le spectacle et on argumente au lieu de chier des conneries pareilles devant trois milles personnes. Je n'ai que du mépris pour ces gens qui ne méritent pas que leur opéra national soit un des plus grands du monde.
Pour finir sur une note plus positive, on lira, comme je m'apprête à le faire le compte-rendu de Friedmund sur son blog. Par ailleurs on peut voir des photos du spectacle sur le site de l'ONP.