Un nouvel article de Caroline. Merci à elle!
Opéra royal de Versailles, le 15 novembre 2009.
Quelques réflexions sur
L’Amant jaloux ou Les fausses apparences
Comédie mêlée d’ariettes (1778)
Musique d’André Ernest Modeste GRETRY sur un livret de Thomas d’Hèle
Direction musicale, Jérémie Rhorer
Mise en scène, Pierre-Emmanuel Rousseau
Décors, Thibaut Welchlin
Costumes, Pierre-Emmanuel Rousseau et Claudine Crauland
Lumières, Gilles Gentner
Création maquillage et coiffure, Laure Talazac
Réalisation des toiles peintes, Antoine Fontaine
Léonore [jeune veuve vivant chez son père], Magali Léger
Isabelle [amie de Léonore que l’on veut marier de force], Claire Debono
Jacinte [domestique de Léonore], Maryline Fallot
Florival [militaire français portant secours à Isabelle], Frédéric Antoun
Don Alonze [l’amant jaloux de Léonore], Brad Cooper
Lopez [le père de Léonore], Vincent Billier
Le Cercle de l’Harmonie
Que nous chantez-vous là ?
L’Amant jaloux est une comédie. Légère, enlevée, elle fait sourire, pas jaune, n’oublie pas de bien finir, d’aller là où on l’attend. Ce n’est pas une farce, ce n’est pas une satire, ce n’est pas une charge. C’est gentil. On pourrait presque la résumer ainsi : tout est bien, pour qui aime bien et est aimé de même. Et c’est sans doute moins donné pour faire rire que pour être applaudi de bon cœur.
Seulement une comédie, pour fonctionner, doit être ancrée dans son temps, dire des choses en un sourire, des choses peut-être pas si anodines que cela. Est-ce l’effet de mes lunettes ? Toujours est-il que je perçois clairement dans cet Amant-là, si ce n’est une revendication, au moins une aspiration de toute une société.
On pourra, par ailleurs, trouver qu’un tel sujet a été tricoté pour plaire aux femmes. Je ne connais pas M. d’Hèle et ne lui ferai pas de procès d’intention, mais ça ne me paraît pas faux. Une telle pièce devait alors fatalement plaire aussi aux hommes qui aiment plaire aux femmes… et qui les emmènent au théâtre. Ce qui finit par faire du monde, les dames étant sans pouvoir mais pas sans influence… Ce qui n’est pas sot raisonnement, d’un point de vue d’auteur.
Qu’est-ce qu’on nous raconte, au fond ?
Une jeune fille, Isabelle, refuse d’être violée lors de sa nuit de noce ; elle regarde du côté du fringant militaire qui lui vient en aide, le trouve beau et chevaleresque, a bien conscience que même si ce ne peut être pour la vie, c’est déjà bien tentant là, maintenant, et puisque finalement il demande sa main, tout est bien (mais même sans rebondissement final, on se doute que ça n’aurait pas été mal non plus…).
Léonore passe totalement outre l’autorité d’un père. D’ailleurs Lopez souhaite que sa fille ne se remarie pas pour qu’un gendre ne chamboule pas sa fortune ; ce n’est pas là qu’égoïsme et avarice, je trouve ; car il ne semble pas complètement imbécile, cet homme, il sait bien que selon l’ordre des choses, il mourra avant elle, et finalement en pensant d’abord à son intérêt particulier d’homme d’affaires, il évite aussi à sa fille un mariage rendu obligatoire pour vivre décemment ; en disposant d’une fortune personnelle, elle dispose aussi d’elle-même, elle devient libre, ou disons un peu plus libre que d’autres ; l’argent fait bien entendu de ces miracles-là. Mais Léonore n’est pas dans le calcul, elle est trop jeune et ardente pour cela ; d’ailleurs elle est déjà amoureuse, elle a déjà trouvé et dit oui à l’homme qu’elle aime. Seulement ce oui-là n’est pas encore définitif.
C’est qu’elle ne voudrait pas d’un mari jaloux ; c’est-à-dire autoritaire, qui ne laisse pas de libertés à sa femme, qui se méfie de chacun, qui l’empêche d’avoir des amis et des secrets avec eux, secrets qui ne le regardent, lui, en rien. Elle veut être aussi libre de l’aimer que de vivre en société et de voir qui elle veut, comme elle veut. Un mari pire qu’un père, non merci !
Pour mener à bien toutes ces belles aspirations, il faut compter sur une nécessaire fidélité ancillaire (au sens d’avant les amours !). Alors Jacinte s’en mêle. On n’est plus au temps où les domestiques craignaient les coups de bâton. On n’est pas non plus dans l’insolence de « lutte de classes », il n’y a pas ici de revendication politique de cet ordre (au contraire des Noces), Jacinte fait simplement son travail, elle est fidèle à sa maîtresse, loyale envers elle, comprenant bien leurs intérêts mutuels, aussi. Pour cela elle peut se jouer d’un père qui la paye, et si elle allait un peu trop loin et qu’elle était renvoyée, ce serait surtout dommage pour Léonore plus que pour Jacinte, car elle retrouverait facilement une place, sans doute auprès d’une dame de plus haut rang, on appréciera et payera au prix le plus fort ses qualités de vivacité d’esprit, d’à propos et de discrétion tout au service de qui elle sert. Quand la parole se fait de moins en moins d’honneur, le secret de son intérieur, de sa vie privée si vous voulez, n’en prend que plus de prix…
Il me semble frappant de voir combien tout cela va dans le sens d’une nouvelle société qui se profile, pour ne pas dire qui s’instaure. Ce père n’est pas montré en crétin indécrottable, borné et plein de ridicules ou de travers risibles, c’est simplement un homme d’une autre génération, qui voit bien qu’il se passe des choses dans sa maison, mais tout lui échappe, il est dépassé. De nouvelles pratiques se mettent en place, en effet. Une aspiration à un intérieur nouveau est en marche : le droit au bonheur domestique.
Et la Cour applaudit !... Eh, oui ! Elle aspire, elle aussi, au bonheur de l’individu ! Tout est dit. Cette aristocratie deviendra bourgeoise, en effet. Son dernier roi le sera d’ailleurs plus qu’un autre, comment pourrait-il en être autrement ? Mais… ce sera le dernier.
N’est-elle pas simple, la comédie ?...
Retour à Versailles…
Décidément en 1778, Grétry ne perd pas de temps et aime les choses rondement menées. Puisqu’il nous sert une tragédie (Andromaque) en 1h40, il ne faut pas trop s’étonner qu’il lui faille une demi-heure de moins pour une comédie. Ça va vite, ça fuse, ça s’enchaîne ; tout doit être attrapé au vol et digéré dans l’instant. L’agilité doit donc être partout : dans l’action, dans les répliques, dans l’esprit et dans les gosiers.
Pour ne rien perdre de tout cela il est impératif d’avoir le ton juste, ainsi qu’une intelligibilité claire et nette, aussi bien dans les dialogues que dans les ariettes. Hélas ! La pâte qui nous est parvenue à Versailles était à faire enrager, l’esprit y était quelque peu perverti et la distribution pas à la hauteur.
Sans doute Rohrer est-il pour quelque chose dans l’effet « pâte » des parties chantées ; on ne comprenait presque pas un mot (bon, j’exagère un peu, mais quand même…). On ne peut tout de même pas dire que tout était forte et qu’il couvrait les chanteurs, cependant un peu plus de nuances, de subtilités et moins de volume auraient sans doute aidé. Mais je pense que le problème venait aussi d’ailleurs, de l’acoustique peut-être ( ? j’ai eu l’impression que le son de la fosse me parvenait beaucoup plus précis que celui la scène… ?), des chanteurs aussi sans doute.
Deux passaient plutôt bien : Claire Debono et Brad Cooper, mais étaient malheureusement trop appliqués à articuler leur texte pour être passionnants et pour ce qui est du naturel… hélas ! J’ai été plutôt déçu par C. Debono qui s’empêtrait dans son français et ne semblait vraiment pas à l’aise (son costume ne l’arrangeait pas non plus, la couleur fuchsia ne convenant pas à tout le monde…), alors que l’impression que j’en avais gardée n’était pas mauvaise lors du Lully (Armide) de la saison dernière.
Le chant de Cooper n’a rien d’enchanteur, il ennuie assez. Et un jaloux qui ennuie…
Frédéric Antoun était annoncé souffrant et l’était sans doute. Son personnage est brossé correctement, mais un peu plus d’allant et de séduction n’auraient pas nuis. Vocalement, il devait effectivement être gêné. Dommage ! car on nous en avait dit grand bien.
Magali Léger campe fort bien sa Léonore. C’est le genre de rôle qui lui convient parfaitement, même si une direction de jeu un peu plus attentive lui aurait permis d’être parfois plus à l’aise ou de faire mouche en épaississant un peu la psychologie de son personnage [non, M. Rousseau, Alonze ne peut pas jeter Léonore à terre ! c’est un amant, pas un mari ! à trop vouloir montrer un parallèle avec Les noces vous le prenez un peu vite pour le comte – qui lui, soit dit en passant, n’est pas un jaloux, mais bien autre chose ! et pour le coup, ce comte-là n’est pas bourgeois – Bref, je proteste ! ^^]. La situation de jeune veuve permettait bien des choses, il me semble et sa Léonore reste un peu trop jeune fille à mon goût. Le problème avec Magali Léger, c’est que la voix ne suit pas. Elle est souvent à la peine et fait des choses pas bien belles. Des voix habituées à Mozart devraient très bien défendre Grétry, je pense. Je me souvenais de M. Léger dans L’enlèvement au sérail, mais il m’a semblé qu’elle avait pas mal perdu, ou alors la rapidité de l’écriture ne permet pas de se rattraper et ce rythme de comédie à la cravache ne fait vraiment aucun cadeau aux interprètes.
Maryline Fallot n’a pas donné la Jacinte que j’attendais et celle qu’elle a servie à la place ne m’a pas convaincue. Elle a commis, pour moi, des contresens. Peut-être pas de son fait, d’ailleurs ; on lui a sans doute demandé d’être ainsi ; mais j’ai tiqué, évidemment. Sa servante est trop ‘dame’, son phrasé trop maniéré là où il aurait fallu du naturel et de la spontanéité. Jacinte doit rester à sa place, nous ne sommes pas dans le mélange des rangs. Cette Jacinte, à l’échine trop raide, n’est pas loin de vouloir jouer les maîtresses de maison, on se demande peut-être même parfois si elle n’aspirerait pas à devenir la maîtresse de Lopez pour mieux le mener ainsi. J’ai dit bourgeois, oui, mais pas encore à ce point ! Ayez tout de même la patience d’attendre un peu avant de nous servir ce plat-là ! Le maître de maison qui couche avec la bonne parce que c’est bien pratique et que chacun y trouve son compte, ce sera pour un peu plus tard. Non, non ! Attendez un peu, chère Jacinte. Gardez pour quelque temps encore votre rôle de fine mouche qu’il convient d’avoir avec soi, heureuse de vivre, pétillante et piquante, mais qui sait garder son rang. En allant trop vite, vous vous feriez haïr de votre maîtresse au lieu de vous en rendre indispensable et vous ne mettriez plus le public dans votre poche ; vous le feriez rire encore, mais il vous mépriserait. Le XIXe siècle viendra bien assez vite !... Bon, pour moi, cette Jacinte était ratée et ce n’est pas la voix qui pouvait rattraper grand-chose.
J’oubliais le père de V. Billier ! Eh bien, oui… je l’ai oublié.
Ce que j’ai bien retenu par contre, c’est l’effet des décors en toiles peintes ! C’était une première pour moi et je n’avais jusque-là pas bien compris (oh, vous savez, moi, tant que je n’ai pas vu, je ne me rends pas compte… ^^) à quel point ce peut être modulable et lié au décor praticable. D’où les effets de surprise, puisqu’on ne sait plus trop si c’est un trompe-l’œil sur un élément fixe ou un élément réel peint. J’ai donc fait quelques « ah ! », « oh ! », « miam miam ! », « clap clap » comme à 7 ans et demi. Bon, n’allez pas croire non plus que je ne voudrais plus voir que des mises en scène dans des décors en toiles peintes, mais de temps à autre, quand c’est réussi et dans un tel lieu, ça ne fait pas de mal.
Il faut peut-être préciser qu’il ne s’agissait pas ici de reconstituer une représentation du XVIIIe siècle, mais plutôt de l’évoquer. Dès le départ, pendant l’ouverture et avant que ne commence le premier acte, on voit le décor se monter, si je puis dire. Les projos (pas d’historicité revendiquée, donc !) remontent dans les cintres, trois rangs de colonnes en descendent ainsi que plusieurs pans et niveaux de toiles peintes : la bibliothèque est prête. Le rideau retombe, quand on le relèvera les meubles seront en place et l’intérieur parfaitement rendu.
Au deuxième acte, on aura les appartements de Léonore ; on est évidemment on ne peut plus dans l’intimité de son intérieur, puisqu’elle va même y prendre son bain. Tout cela seconde bien, en effet, le propos de la pièce. Je vous laisse la surprise de la sérénade (« Oh !... clap clap !... »).
Il ne manque rien non plus au pavillon du jardin du troisième acte ; même les paons sont raccords !
Tout cela est parfaitement huilé et s’emboîte au millimètre. Je ne sais pas trop comment ça voyagera jusqu’à l’Opéra-Comique. J’avais compris que ce type de décors appartenait à un théâtre en particulier ; ils auront évidemment prévu les ajustements nécessaires. Je suis en tout cas très contente d’avoir vu cela de la loge princière à Versailles ; et puis d’ailleurs… l’Opéra-Comique… c’est un peu bourgeois, non ?...
PAN ! PAN !
Mais laissez les paons tranquilles !
C.
PS : Notez que le programme, que je n’ai pas encore eu le temps de lire, édité par le CMBV pourrait passer pour un copieux Avant-Scène… si ce n’était le format.