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Psychologie

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Il catalogo è questo

16 janvier 2010 6 16 /01 /janvier /2010 16:26

La Bohème
de Puccini

Stefano Secco Rodolfo
David Bizic Schaunard
Matteo Peirone Benoît
Tamar Iveri Mimi
Ludovic Tézier Marcello
Giovanni Battista Parodi Colline
Rémy Corazza Alcindoro
Natalie Dessay Musetta

Daniel Oren  Direction musicale
Jonathan Miller  Mise en scène
Dante Ferretti  Décors
Gabriella Pescuci  Costumes
Guido Levi  Lumières
Alessandro Di Stefano  Chef de Chœur

Orchestre et choeur de l’Opéra national de Paris
Maîtrise des Hauts-de-Seine / Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris

Opéra Bastille
29 octobre 2009

http://a10.idata.over-blog.com/320x480/2/93/66/60//Dessay-Boh-me-Bastille.jpg

Qu’est-ce qui rend comble une nieme reprise d’un spectacle de routine ? La présence d’une star, en l’occurence, Natalie Dessay. Et ce qu’il y a de bien avec Dessay, c’est que sa rareté sur les scènes parisiennes par rapport à son immense popularité en France lui assure le succès avant même d’entrer en scène. Et pourtant ce soir de première, on a pas entendu grand-chose… le trac, la première fois qu’elle abordait Puccini, la dernière fois pour ce qui est de ce rôle selon ses déclarations, une orchestration très différente de ce qu’elle a l’habitude d’affronter dans la fosse, une salle immense qui ne pardonne rien… on peut trouver toutes les excuses et les comprendre, même une star ne peut être au top de sa forme tous les soirs, surtout Dessay dont les lacunes techniques sont sources de précarité pour ses interprétations : un soir au top, le lendemain inaudible. Mais pour la Dessay actuelle, plus actrice que jamais, les soucis vocaux passent finalement au second plan, vous allez me dire, à l’opéra c’est con tout de même. Eh bien non, car même si elle était la moins bien chantante du plateau, on ne voyait sur l’immense plateau de Bastille que son petit second rôle, là où tous les protagonistes en pleine forme vocales étaient transparents. C’est de loin dans les passages parlés finalement que l’on entendait le mieux Dessay, particulièrement dans les derniers mots de Musette pendant la mort de Mimi qui furent boulversants. Comme quoi l’éloquence n’est pas forcément dépendante de la projection. On a beau ne rien comprendre à l’italien de « Quando m’en vo » et à peine entendre les notes, si ce n’est quelques aigus canardés, elle reste une actrice stupéfiante qui donne vie à son personnage de grisette avec un naturel et une force qui éclipse le chant de ses partenaires.


http://www.forumopera.com/uploads/images/photos/Opera/2009-2010/Boheme1.jpgPhoto: Christian Leiber


Il faut dire que la mise-en-scène ne les aide pas les partenaires : mon copain qui m’accompagnait me disait avoir déjà vu cette mise-en-scène il y a 7 ans ; renseignements pris, cette production fut créée en… 1995. Je sais bien que l’ONP est une maison de répertoire et que les Noces de Strehler y furent reprises pendant 25 ans… mais cette production de Jonathan Miller, très honnête cela dit, en mérite-t-elle autant. D’autant que l’on sait pertinemment qu’au fil des reprises, le metteur-en-scène ne revenant plus, nous n’avons plus droit qu’à des décalqués de mise-en-scène. Dans ce dernier calque, la direction d’acteur a presque totalement disparu, à moins que cela soient les chanteurs qui aient refusé de lui donner vie, à part Dessay et Tézier personne n’habite ici. Cette production qui ressemble finalement à du Zambello peut inspirée, se transforme alors peu à peu en Deflo.


Et le manque de théâtre pour un tel opéra, c’est vraiment plus con que le manque de voix pour Dessay. Car on ne croit finalement à personne, et l’empathie ne fonctionne pas, l’émotion ne vient pas, sauf quand Dessay parle. Pourtant tous les chanteurs chantent très bien, mais ils ne font que chanter.


A contrario l’Orchestre de l’opéra de Paris dirigé par Daniel Oren, chante, joue et nuance comme rarement dans du Puccini, pas de pataugeoire à pathos comme on en entend souvent, mais des tempi maitrisés, retenus pour mieux s’épancher au moment opportun, des couleurs ravissantes qui viennent animer ce décor grisâtre et ce vérisme sinistre.

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15 janvier 2010 5 15 /01 /janvier /2010 16:14
Paulus
de Mendelssohn

Matthias Goerne, baryton
Ruth Ziesak, soprano 
Christianne Stotijn, mezzo-soprano 
Rainer Trost, ténor

Orchestre National de France
Choeur de Radio France, direction Matthias Brauer
Maîtrise de Radio France, direction Sofi Jeannin
Kurt Masur, direction

Théâtre des Champs-Elysées
5 décembre 2009


http://www.concert-anniversaire.be/Felix+Mendelssohn+mendelssohnf.jpg


J’allais à ce concert un peu à reculons, freiné par l’a priori selon lequel Mendelssohn cherchait dans ses oratorios à copier Bach, et Dieu sait que les Passions de Bach m’ennuient ; l’évocation de l’héritage de Haydn n’était pas non plus me rassurer en la matière. Mais je fus agréablement surpris. D’abord l’orchestration romantique de Mendelssohn me séduit beaucoup plus que la froide spiritualité de Bach : la musique semble toujours porter la tourment existentiel que la foi cherche à résoudre. Et pourtant le modèle de Bach est toujours sensible : personnage du narrateur, grands chœurs entrecoupés d’arias, dramatisme évangélique, homogénéité du tissu musical, mais la choucroute sacrée me semble bien plus digeste ici que chez Haydn ou Beethoven.


http://www.carolinaperformingarts.org/assets/calendars/2008-09/Classical%20Recitals/MatthiasGoerneDET.jpg


Il faut dire que les interprètes ce soir-là avaient souvent de quoi convaincre : pas fan de Rainer Trost que j’ai trouvé trop extérieur, plus solennel que spirituel, mais parfaitement probant vocalement ; un peu gêné par l’excès d’effets de Ruth Ziesak, voix légère très percutante mais actrice manquant de simplicité, cela a au moins le mérite d’être très personnel ; on est déçu de si peu entendre Christianne Stotjin dont les très courtes interventions trouvent l’équilibre parfait entre la pudeur de la contrition et l’extériorisation inhérente à la spectacularisation de la foi.  Et enfin Matthias Goerne est comme toujours le plus inspiré et le plus impressionnant, surtout en regard de l’économie d’effets; le rayonnement serein, concentré et la douce résonnance de la voix sont toujours aussi séduisants ; tout juste pourrait-on lui reprocher de ne pas assez différencier Saul et Paul, mais la musique ne va pas vraiment dans ce sens non plus.


http://symphonycast.publicradio.org/programs/2008/02/04/images/masur.jpg


Chœur et orchestre furent excellents, puissance et clareté (assez impressioné par le chœur de la lapidation de St Etienne) ;  Kurt Masur est de plus en plus vacillant sur son pupitre, mais son entente avec l’orchestre saute aux yeux. Je manque de points de comparaison pour juger de sa direction, mais le simple fait qu’elle ait réussi à me faire apprécier ce type d’oratorio est pour moi gage de sa qualité.

Et grâce à cet oratorio, j’ai appris que St Paul avait été converti par un Ananas, et rien que pour ça, ça valait le détour :o)

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14 janvier 2010 4 14 /01 /janvier /2010 15:59
Nearly 90²
de Merce Cunningham
Merce Cunningham Dance Company
  Création
Avec le Festival d'Automne à Paris

Théâtre de la Ville
3 décembre 2009

http://arshtpov.files.wordpress.com/2009/08/mercecunningham_portrait_full.jpg
© Annie Leibovitz



Dans ma découverte progressive des grands chorégraphes , il y a parfois des déceptions, ce spectacle de Merce Cunningham en est une. Quelques mois après sa mort, sa compagnie présente au Théâtre de la Ville Nearly ninety2, une adaptation de Nearly Ninety privée de la sculpture monumentale et des projections qui occupaient la scène lors de la création. Le style est volontairement totalement abstrait, épuré : cette esthétique est sa propre fin, elle ne fait appel à aucune coincidence ou évocation du monde extérieur, c’est un ensemble de mouvements unis stylistiquement mais qui ne parlent de rien, qui ne produisent aucun sentiment, des émotions peut-être mais purement issues de l’étrangeté du monde dans lequel on est plongé. On est donc assez proche chorégraphiquement de l’art abstrait en peinture, mais plutôt du Malevitch extrémiste que du Kandisky coloré.


http://files.fluctuat.net/IMG/jpg/nearly_90.jpg© Anna Finke



L’épure s’illustre d’abord dans la scénographie : plateau vide, fond noir qui s’ouvre parfois sur un seuil puissamment solaire ou sur lequel est projeté un rayon de lumière blanche ; les costumes sont des secondes peaux noires en velours finement puis largement zébrées de bandes argentées. La musique est conçue sur le même modèle de paysage abstrait, sonore en l’occurrence : un designer du son et un guitariste sont dans la fosse pour créer façon Pierre Henry, de la musique très violente, brute et âpre.


http://s2.e-monsite.com/2009/12/04/11/resize_550_550//Cunningham-Nearly-90-ph-Anna-Finke-1.jpg© Anna Finke


Le langage chorégraphique ressemble étonnamment à du Martha Graham sans signification mytho-psychologique ni même dramatique : raideur, simplicité, équilibres faussement statiques…  Tout cela est parfaitement cohérent et même impressionant plastiquement, mais sur presque 90 minutes*, c’est vite emmerdifiant ! Et à l’inverse de Martha Graham (ou même de Pina Bausch) dont les spectacles devenaient plus légers et plein d’une sage dérision à l’approche de sa disparition, j’ai le sentiment que Cunningham persiste dans une voie qu’il a mis tant d’efforts à tracer ; mais n’ayant jamais vu d’autres spectacles de Cunningham, ce n’est qu’un pressentiment sans fondement.


http://s2.e-monsite.com/2009/12/04/11/resize_550_550//Cunningham-Nearly-90-ph-Anna-Finke-61.jpg© Anna Finke


* le titre du spectacle trouve aussi sa justification dans l'age du chorégraphe quand il a créé ce spectacle, il est  d'ailleurs mort récemment, à 90 ans, peu après Pina Bausch.

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2 janvier 2010 6 02 /01 /janvier /2010 19:25

Edita Gruberova, soprano

Orchestre Philharmonique d'Oviedo
Friedrich Haider, direction

Théâtre des Champs-Elysées
17 décembre 2009

Mozart : Le Directeur de théâtre, ouverture
"Martern aller Arten", air de Konstanze (Entführung aus dem Serail)
Wolf-Ferrari : I Quattro Rusteghi, Vorspiel et Intermezzo
Il segreto di Susanna, ouverture
Donizetti : "Il dolce suono", "Spargi d'amaro pianto" (Lucia di Lammermoor)

Entracte

Chapi : Preludio de la Revoltosa
"Oh, s'io potessi", "Col sorriso", "Oh sole, ti vela" airs d'Imogene (Il Pirata)
Donizetti : Roberto Devereux, ouverture
"E sara, in questi orribili", "Vivi, ingrato", "Quel Sangue" airs d'Elisabetta (Roberto Devereux)

Bis
Strauss: "Spiel ich" air d'Adele (Die Fledermaus)
Donizetti: "Ah tardai troppo... O luce di quest'anima" air de Linda (Linda da Chamounix)
Strauss: "Spiel ich" air d'Adele (Die Fledermaus)

http://www.theatrechampselysees.fr/upload/illustrations/1egruberova__Herve_le_Cunff__.jpgPhoto: Hervé le Cunff

Edita Gruberova à Paris, cela n’était pas arrivé depuis… un bon moment; et même en France, sa dernière prestation semble remonter à 1999 à Nice pour une Fille du régiment. La chanteuse est pourtant une star du monde lyrique germanophone, preuve en est le festival de Salzburg qui ne craint pas de la programmer dans Norma cet été ou l’opéra de Munich qui lui a offert des débuts dans Lucrece Borgia à 63 ans ! Celle qui fut une des meilleures techniciennes des années 70 et 80, celle qu’Harnoncourt a si souvent voulue pour ses Mozart, celle qui a créé sa propre maison de disque… est maintenant inconnue en France au point de ne pas remplir le TCE pour un récital au programme pourtant aussi célèbre que rarement donné le même soir. C’est sans doute d’abord la preuve que, de plus en plus, même pour le public d’opéra que l’on dit forcément « averti » pour un art si « élitiste », eh bien le marketing a son importance sur le remplissage des salles. Aucune campagne de pub n’avait été prévu pour se concert, le TCE prédisant même un remplissage exceptionnel avait surtarifé ses places. On était pourtant loin ce soir du remplissage d’un concert de Bartoli.


Mais si la salle n’était pas pleine, elle n’était pas indifféremment peuplée non plus ; car tous ses fans français avaient fait le déplacement. Et un fan français de Grubi est généralement très bruyant, hystérique et homosexuel (de la gym queen à l’aristo méprisant). Le spectacle était donc ce soir aussi bien dans la salle que sur la scène. Dès son entrée les « brava » fusent, chaque fin d’air est l’occasion  d’applaudissements émis très haut les bras tendus vers l’idole dans l’espoir qu’elle repère son adorateur ; la folie de Lucia est évidemment interrompue après son duo avec la flûte par un public incapable de retenir son admiration ; les derniers applaudissements sont si importants que la dame offrira 3 bis ; une plaque indiquant une avenue à son nom lui est offerte, elle pose fièrement avec devant les iphone qui la mitraillent ; quand elle annonce un bis « Gaetano Donizetti… » « En français ! » l’interrompt une vielle conne qui s’attendait sans doute à ce que l’on annonce du Gaëtan Donisette, laquelle se prend un virulent « Ta gueule ! » en guise de réponse du balcon. Bref ambiance électrique, mais l’électricité ne passait pas uniformément ce soir dans le public, la standing ovation finale était loin d’être unanime comme elle l’est à chaque fois pour Bartoli ou Dessay, beaucoup venus ici sans trop connaître la dame s’étonnent du délire qu’elle suscite et applaudissent timidement. L’ovation est très trouée à l’orchestre !


Alors pourquoi ? Eh bien, mon père avec qui j’étais au concert ce soir là a trouvé la clef : « on dirait la castafiore ! » dit-il admiratif. Edita Gruberova est sans doute la dernière des Castafiore ; bien sur elle a son glorieux passé derrière elle que les fans applaudissent aussi, mais la chanteuse qu’elle est devenue aujourd’hui ne fait pas qu’évoquer une splendeur révolue, elle attire la sympathie par un style unique. Unique ça oui ! Et on ne nait pas castafiore, on le devient. Si on retrace sa carrière, on s’aperçoit d’une lente révélation de son naturel dramatique : de la jeune vocaliste scolaire sans personnalité, à la diva affirmée et maitrisée par de grands chefs et finalement l’actrice caricaturale dont les expédients dramatiques viennent combler des lacunes vocales croissantes avec l’âge. Car Gruberova en scène, c’est un peu la poissonnière du marché de St Ouen à la Comédie française : non qu’elle manque d’investissement dramatique, au contraire, elle se trompe juste totalement de voie. Ses reines sont d’un génie bouffon parodique insoupçonné et ses scènes de folie sont toutes proches du coma éthylique.


Personnellement il m’est impossible d’être ému par ses performances, mais je dois bien reconnaitre que le personnage est fascinant par son aplomb. Etre grotesque avec tant de panache n’est pas donné à tout le monde ! La voix part en lambeaux, l’aigu est strident et dur comme une plaque de tôle en fer blanc, les vocalises sont souvent savonnées, presque tous les aigus pris par en dessous, le texte parfois modifié, les problèmes de rythme sont récurrents, mais tout cela passe car elle s’y donne à corps perdu, les graves ne sont d’ailleurs pas coupés, ils sont émis en voix parlée ventriloquée horrible, mais elle les affronte témérairement, au point que l’on peut se dire « ça doit être écrit comme ça ! ». D’autant que qui ose aujourd’hui, qui plus est à 63 ans, programmer des récitals incluant 3 des plus grandes scènes de folie du bel canto et en commençant par des vocalises mozartiennes qui ne pardonnent rien ?! Par ailleurs, il faut bien reconnaître qu’elle a de beaux restes, elle est loin d’être à bout de souffle : les vocalises dans l’aigu ont encore cette extraordinaire liquidité, les aigus et suraigus sont bien là, volumineux, souvent laids mais toujours impressionnants.

http://www.bayerische.staatsoper.de/upload/media/200811/21/11/rsys_26654_492686ec4c2c8.jpg

C’est finalement cela qui est fascinant, même un goût de chiotte et une technique vocale à la ramasse peuvent être transcendés par l’aplomb scénique et attirer la sympathie. Et une chanteuse qui a été si excellente technicienne, ne peut ignorer sa décadence actuelle, elle en a certainement parfaitement conscience et s’attaque pourtant à des morceaux de bel canto qui mettent à nu les chanteuses les plus armées pour ces rôles. Si la plupart d’entre eux n’étaient pas des hystériques incapable de reconnaitre le moindre défaut à leur idole, j’aimerai beaucoup avoir le point de vue d’admirateurs de la dame, donc si certains lisent ce compte-rendu et ne m’ont pas encore voué aux gémonies donizettiennes, qu’il n’hésitent pas à s’exprimer !

N’importe quelle jeune chanteuse qui aujourd’hui chanterait ce répertoire en faisant des grimaces improbables, louchant presque sur les aigus, jouant comme une actrice de cinéma muet se ferait huer ; tout juste le pardonne-t-on à Simone Kermes qui a l’excuse d’un répertoire encore largement inconnu (quoiqu’il en soit, la filiation stylistique – pas vocale hein ! - entre les deux chanteuses est pour moi évidente).

La dernière des castafiore donc, une diva d’un autre âge où les excès dramatiques les plus irréalistes étaient le pendant théâtral de cette enflure vocale qu’est l’opéra. Une conception enflée de l’opéra qui a totalement disparu avec les Callas ou les Dessay qui s’attachent à l’inverse à rendre crédible leur personnage,  pour qui le théâtre est une composante essentielle de l’opéra. Dans l’ancienne conception, le théâtre n’était pas absent mais coupé de tout soucis réaliste, c’était plus une litanie qu’une représentation, et la métaphore opérée par le chant lyrique sur le verbe simplement parlé suffisait à justifier ce manque total de crédibilité. En regardant Grubi ce soir, on pense presque à ce que doit être l’opéra balinais tant vanté par Artaud. Bon j’arrête là mes élucubrations, pour reprendre ce qu’avait très bien résumé David Le Marrec je crois, à savoir qu’avec Grubi, le mauvais goût "fait système" et que toute critique portant sur le manque de réalisme, l’ignorance esthétique ou les lacunes vocales est vaine.


http://www.codalario.com/v_portal/inc/imagen.asp?f=fdues_1b_index_768.jpg&w=462&c=0

A ceux qui ne la connaitraient toujours pas, voilà quelques vidéos glanées sur Youtube pour illustrer ce propos.

Tout d’abord le grand air de Giunia dans Lucio Silla qui montre l’extraordinaire technicienne qu’elle a été, capable de chanter en concert la grande vocalise de cet air en ne respirant qu’une seule fois. (1983)



Autre exemple de sa suprématie vocale dans les années 80, cette folie d’Electre chez Mozart, et l’on s’interroge déjà sur son sens tragique pour sortir un tel rire gloussé digne d’un film d’horreur de série B, mais après tout ce passage est redoutable pour toutes les chanteuses. (1981)

 


Puis sans doute ce qu’elle a fait de mieux, un air de concert de Mozart, Speria vicino il lido, où guidée par Nikolaus Harnoncourt elle atteint des sommets. (1991)

 


La poissonnière pointe déjà le bout de son nez dans le final de l’acte I de Maria Stuarda où sa grossièreté tranche singulièrement avec la noblesse claironnante d’Agnès Baltsa : c’est totalement à coté de la plaque, n’empêche que la confrontation est animée comme rarement. (1989)

 


Et enfin le « système » qu’elle est devenue aujourd’hui. La scène finale de Roberto Devereux (2007) et celle de Lucrèce Borgia (2009) qui attestent l’incroyable prise de risque scénique et vocale qu’elle ose aujourd’hui (avec Christopher Loy en perruquier - le même qui avait fait viré Deborah Voigt à cause de son embonpoint, oui, c'est donc bien qu'il doit trouver un intérêt dans le jeu de Grubi).

 




Ou cette folie d’Imogene, beaucoup trop grave pour elle mais qu’elle affronte avec un panache impressionnant, suicidaire. (2008)

 


enfin, ell a donné l’air de la Chauve-souris « Spiel ich »  à deux reprises ce soir ; elle y fut très attachante pour peu que l’on renonce à une certaine finesse du style viennois. Dans les années 80, c’était  moins troupier et plus viennois, mais cela reste très réussi aujourd'hui, elle y fait preuve d'un génie comique qui pour le coup n'est pas contraire aux aspirations du livret. (2007 et 1980)

 




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1 janvier 2010 5 01 /01 /janvier /2010 19:10

Purcell
Dido and Aeneas

    
Caroline Meng, Didon
Thomas Dolié, Énée
Judith van Wanroij, Belinda, première sorcière
Luanda Siqueira, Deuxième suivante, deuxième sorcière
Magid El Bushra, La Magicienne
Arthur Espiritu, Un esprit, un marin

En première partie de programme
Purcell : Amphitryon, or the two Sosias

Choeur et Orchestre Opera Fuoco

David Stern, direction

Théâtre des Champs-Elysées
13 novembre 2009

http://www.theatrechampselysees.fr/upload/illustrations/Sternok.jpg

Venu pour entendre Ann Hallenberg en Didon, j’ai évidemment été très déçu par son annulation à l’entracte du à un malaise soudain en coulisse. Je me suis même demandé si j’allais resté, l’Amphitryon donné en première partie ayant été plutôt décevant. L’orchestre Opera Fuoco de David Stern manque à son habitude d’éloquence et de dramatisme, tous les pupitres sont bons, mais l’ensemble porte décidemment mal son nom: danses de l’Amphitryon trop sages, ouverture de Didon trop sautillante, manquant de grave tension, les passages les plus réussis sont conséquemment les moins orchestraux, ou seulement quelques musiciens voire un seul accompagnent les chanteurs.

http://www.ouest-france.fr/of-photos/2009/10/08/na12_2582357_1_px_470_.jpg

Mais je suis tout de même resté : je n’ai pas aimé Thomas Dolié dans l’Amphitryon, jouer les bergers amoureux ne lui va pas beaucoup, il a trop de prestance pour ça, de plus en début de concert la voix répond mal, aussi bien pour la projection que pour la couleur. Heureusement Enée lui convient beaucoup mieux et son air du départ fut le plus beau moment de la soirée: puissant, noble, dur, c’est la première fois que « j’entends » réellement cet air, je ne l’avais à vrai dire jamais vraiment remarqué auparavant.

La bonne surprise est venue de Judith van Wanroij : je n’avais vraiment pas accroché à l’Opéra comique la saison dernière,  ici elle m’a ravi. Physiquement d’abord, elle a une grâce folle et vocalement c’est splendide : parfaitement articulé, spirituel, et cette joie voilée qui en fait la digne servante de la reine de Carthage .

http://www.hollandsymfonia.com/hs/images/cms/programma/wanroij_judith_van.jpg

Les seconds rôles sont moins enthousiasmants : Luanda Siqueira est un peu courte de voix en sorcière, elle y manque par ailleurs clairement d’aspérité. Donner la sorcière à chanter à un contre-ténor sans aucun grave est une stupidité sans nom, je ne vais pas en rajouter une couche. 

Dido fut donc finalement chanté par Caroline Meng : à l’inverse de Thomas Dolié, elle était bien plus à sa place en bergère d'Amphitryon qu’en reine. La voix est jolie, la chanteuse touchante, et pourtant il n’y a qu’émotion là on l’on attend de la passion, de la tristesse et non de l’affliction, c’est la mort d’une princesse, non d’une reine qui joue sa vie dans cet amour. Quoiqu’il en soit, elle a très bien chanté étant donnée les circonstances, c'est-à-dire sans aucune répétition avec l’orchestre dans cette partie.

 

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31 décembre 2009 4 31 /12 /décembre /2009 15:32

Vivaldi

Sara Mingardo, contralto

Venice Baroque Orchestra
Andrea Marcon, direction

Théâtre des Champs-Elysées
18 novembre 2009


Vivaldi : Sinfonia en ut majeur pour cordes et basse continue RV.114
Concerto en sol mineur pour flûte, cordes et basse continue « La Notte » RV.439
Stabat Mater 

Entracte

Concerto pour 2 violons en sol majeur RV.516
Concerto pour flûte à bec en ut majeur RV.443
«Cessate, omai cessate» Cantate pour contralto, cordes et basse continue RV.684

Bis
L'Olimpiade: "Mentre dormi" (Licida)
Final de la cantate "Cessate": "Nell orrido albergo"

http://www.naive.fr/public/img/front/pho/artists/205x205/000302.jpg

Mais quelle est donc cette mystèrieuse épidémie qui décime les chanteurs devant se produire au Théâtre des Champs-Elysées, une malédiction? C’était ce soir au tour de Magdalena Kozena d’annuler ce récital, et à Sara Mingardo de venir la remplacer, entre temps on a échangé un programme original et parfaitement adapté à la voix de Kozena (excluant donc certaines pages contraltisantes du disque) contre un programme commun mais tout autant adapté à la voix de Mingardo.


Le Venice baroque orchestra est sans surprise dans ce répertoire balisé, d’un très bon niveau dans le concerto pour deux violons (encore faudrait-il que ce morceau soit intéressant); manquant de spiritualité pour le Stabat mater, mais pas de couleurs, ils sont décidemment meilleurs pour rendre la folie du carnaval vénitien que la sobre splendeur de l’intérieur des Eglises; la cursivité et l’emportement de la cantate sont eux parfaits; de l’emportement il y en a par contre bien trop à jouer le concerto pour flûte à bec : la soliste est d’une virtuosité époustouflante, mais cela vient bien trop vite pour être émouvant, à se demander si la flûte ne fait pas un concours de vitesse avec les cordes, et à ce jeu là, le second mouvement perd toute sa poésie pasolinienne.

http://kammerakademie-potsdam.de/images/db/orchester/Andrea_Marcon.jpgPhoto: Elmar Schwarze

Sara Mingardo ne connait aujourd’hui aucune concurrence dans le Stabat mater, tout à déjà été dit sur sa très belle prestation au disque avec le Concerto Italiano. Aujourd’hui la voix a vielli, et on la sent plus prudente, moins ardente, mais ses graves continuent de vous envelopper comme un doux linceul et la chanteuse a toujours cette fierté que l’on dirait espagnole dans le port et ce regard intense. Dans Cessate omai cessate, la prudence est plus sensible encore, la rage supporte moins la pudeur que la ferveur, tout comme la perte des aigus et la moindre projection.  Et cependant l’éloquence est intacte, la densité de l’expression. Certes on entend plus la voix résonner dans la caverne pour le dernier mouvement, mais l’impuissance de cet amant éconduit n’en est que plus audible, il n’est finalement bon qu’à insulter: ces « ingrata ! spietata ! » âpres,  carnassiers.


En bis nous eûmes droit au superbe « Mentre dormi » de L’Olimpiade. Petit pincement au cœur, c’est le rôle dans lequel j’ai découvert Mingardo et auquel je dois mon pseudo lyrique. Force est de constater que Sara Mingardo est loin d’être finie (de toute manière j’ai horrrreur des critiques assènant qu’un tel ou un tel est fini !): le soutien de ligne est sans faille, la douceur de la voix aussi douillette qu’une couette et pourtant elle fait de cet air plus qu’une berçeuse, on entend très bien dans l’ouverture de la dernière syllabe du mot « piacer » tout l’espoir que le repos de Megacle implique pour Licida, espoir trouble, à cause du non respect des règles sur lequel il repose, de sa transgression mais aussi à cause d’une transgression plus érotique qui émane de cet air. Et la voix chaude, légèrement étouffée, moirée de Mingardo est ici idéale, surtout ainsi retenue, presque hésitante à poursuivre, à sortir de l’ambiguïté.

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30 décembre 2009 3 30 /12 /décembre /2009 17:53
 

Sandrine Piau, soprano & Ann Hallenberg, mezzo-soprano

Modo Antiquo
Federico Maria Sardelli, direction    

Théâtre des Champs-Elysées
30 novembre 2009    



Haendel : Ariodante, ouverture
Airs "O take me from this hateful light", "Calm thou my soul" et "Convey me to some peaceful shore" (Alexander Balus)
Air "Con l'ali di Constanza" (Ariodante)
Airs "Che sento oh dio", "Se pietà di me non senti" (Guilio Cesare in Egitto)
Air "Dopo notte" (Ariodante)
Duo "Se rinasce nel mio cor" (Ariodante)

Entracte

Vivaldi : La Griselda, sifonia dall 'opera
Duo "Certo timor c'ho in petto" (La Candace)
Air "L'innocenza sfortunata" (Tieteberga)
Haendel : Concerto grosso op. VI, 6
Air "Scherza infida" (Ariodante)
Air "Da tempeste il legno infranto" (Guilio Cesare in Egitto)
Duo "Bramo aver mille vite" (Ariodante)

Bis
Vivaldi: Duo "Zeffiretti che sussurateDuo"
Handel: Duo "Se rinasce nel mio cor" (Ariodante)

http://www.modoantiquo.com/site/media/image/large/604.jpg

Un remplacement en chasse un autre : après avoir annulé quelques semaines plus tôt Dido & Aeneas à cause d’un malaise, Ann Hallenberg vient remplacer Idelbrando d’Arcangelo souffrant. A priori pas de raison de se plaindre : on échange une bonne basse contre une des meilleurs mezzo colorature du moment, et a fortiori une de mes chanteuses préférées, mais hélas le programme a lui beaucoup perdu en attrait. Comme pour le récital Kozena quelques jours plus tôt, on perd un programme riche en raretés pour se retrouver avec du rabaché. La raison en est simple : étant donné le temps imparti entre l’annulation de la basse et le concert, Sardelli a décidé de ne jouer que des airs qu’il a déjà travaillé avec ses deux chanteuses, c'est-à-dire du Ariodante pour Hallenberg (donné à Beaune cet été) et des airs du disque Vivaldi chez Naïve. Seules nouveautés, les finals en duo d'Ariodante. A part les deux airs d’Alexander Balus, pas de découvertes ce soir donc. Mais cela valait toujours mieux qu'une annualtion totale, ne nous plaignons donc pas.

Modo Antiquo dirigé par Federico Maria Sardelli est toujours aussi avare de couleurs, pauvre en harmonique, la texture est épaisse mais uniforme, de plus les vents sont souvent approximatifs; le rythme est souvent le point fort de l’ensemble mais quelle lourdeur dans ce dernier mouvement de la sinfonia de la Griselda, c’est d’un balourd, les pauses du second air d’Alexander Balus sont bien trop longues et détruisent l’effet mimétique de battements du cœur ; quant à l’accompagnement du « Scherza infida », il souffre vraiment d’un manque d’imagination, tout est très répétitif à l’opposé de ce que fait la chanteuse.

Ann Hallenberg donc, ce « Scherza infida » aura vraiment été le sommet de la soirée, malgrè l’accompagnement sommaire, elle réussit à varier l’expression avec une finesse extraordinaire à chaque répétition de ces deux mots, les piani sont veloutés, les variations d’une élégance bouleversante et comme toujours, le texte est parfaitement compréhensible. Les deux autres airs d’Ariodante l’ont trouvée moins épatante : la vocalise est aisée et impressionnante (malgrè un petit problème de souffle lors de la première du « Con l’ali di constanza » et une inhabituelle dureté dans l’aigu) le sourire ininterrompu, la tessiture très bien balayée, mais comme me le disait Clément, sans mélancolie implicite, ces airs tombent vite dans la joyeuse parade sans réelle implication dramatique. L’air de Vivaldi est exactement ce qui ne lui convient pas : très grave, uniformément syllabique, elle ne s’y révèle que dans le da capo où elle varie à l’aigu travestissant l’air.  Dans les duos elle est par contre fabuleuse, diminuant même la fréquence de son trille pour ne pas trop contraster avec les secousses vocales qui servent de trille à Piau.

http://i.ytimg.com/vi/FUtGg9LvlDE/hqdefault.jpg

Sandrine Piau m’a par contre semblé un peu fatiguée* : les aigus sonnent toujours aussi bien et la vocalisation est toujours aussi virtuose, tout comme l’implication dramatique, et cette pose dans les lamenti, droite, le bassin lègerement cassé, bras tendus, paumes vers l’extérieur, Pina Bausch dans Café Müller.  Mais le medium est resté sourd toute la soirée, le premier air d’Alexander Balus en a souffert, et le « Se pieta » m’a beaucoup moins ému que la saison précédente avec Jacobs où elle avait su dépasser ses lacunes dans le grave pour un tel rôle.  Le « Da tempeste » était un peu trop mécanique, avec des vocalises mitraillettes qui ont perdu leur rayonnement, tout comme dans l’air de Vivaldi. Intelligement elle n’a pas retenu pour le concert les airs des grands oratorios anglais dans lesquels je trouve qu’elle manque non de sentiments mais de spiritualité, il est cependant dommage qu’elle n’ait pas gardé le « Tu del ciel ministro eletto » ou même le « Lascia ch’io pianga » qu’elle a chanté lors de son dernier récital (sur l’opéra à Hambourg au début du 18ème)  dans lesquels elle était fabuleuse.

http://lesvictoires.com/classique/photos/piau_sandrine_grand.jpgPhoto: Antoine Legrand

La surprise vint du premier bis où les deux chanteuses interprétèrent le très beau "Zeffiretti che sussarate" en duo, alternant dans le rôle de l'écho; cet air passait très bien ainsi adapté et malgrè la grande différence entre ces deux voix.

Une soirée un peu décevante donc, quand on sait ce dont sont capables ces deux divas dans de meilleures conditions, mais amplement satisfaisante pour ces conditions çi.

* J'ai appris par la suite qu'elle était convalescente et n'avait eu d'autre choix que de chanter pour que le concert ne soit pas tout bonnement annulé.

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29 décembre 2009 2 29 /12 /décembre /2009 19:39

Handel, Berenice


Berenice : Klara Ek
Selene: Romina Basso
Demetrio : Franco Fagioli
Alessandro: Ingela Bohlin
Fabio : Cyril Auvity
Aristobule : Vito Priante
Arsace : Mary-Elen Nesi

Il Complesso barocco
Alan Curtis

Théâtre des Champs-Elysées
21 novembre 2009

http://antikforever.com/Egypte/Dyn/Images/Mace_ptolemee/Berenice%20IV%20%201.jpgBerenice, en l'occurence la IV, ne demandez pas si c'est celle du livret...

Eh bien pour ce que l’on nous annonçait comme un ratage de Handel s’est avéré bien plus intéressant que prévu : le livret est plutôt bien construit sur le topos de la reine antique à l’amour castrateur et trahi (dans la même veine que Partenope) et offre une palette assez riche d’arias (plusieurs comparaisons, fureur vocalisante et syllabique, de doute, élégiaques…). L’irrégularité vient plutôt de la musique : si le rôle de Berenice est magnifiquement écrit et hérissé de difficultés techniques qui rappellent à quel point la voix de Strada del Po était souple en plus d’être expressive, le rôle d’Alessandro, pourtant écrit pour Il Giziello qui n’était pas le dernier des castrats et pour lequel Handel avait déjà plusieurs fois écrit (Atalanta, Arminio et Giustino), est totalement transparent, aucun personnage ne prend vie derrière cet enfilement d’arias tempérés qui ne dessinent aucun caractère, pas même celui d’un roi philosophe vers lequel tend le livret. Selene n’est pas non plus un rôle passionnant : des airs au kilomètre écrits pour la Negri avec quelques innovations formelles (son air de fureur qui commence a capella avant d’être rejoint par l’orchestre), seul le dernier air est mémorable, air de comparaison avec l’hirondelle empêtrée écrit à la perfection sur un motif de cordes pudique et  mimétique. Fabio souffre de la même irrégularité : son premier air décrit le butinage de l’abeille avec une légèreté et un charme immédiat, ceux qui suivent sont plus oubliables.  Demetrio, le faux amant de la reine épris de Selene, retient autrement l’attention et s’affiche comme le véritable primo uomo en face de Berenice et de l’inexistence dramatique d’Alessandro, avec un éventail d’airs propre à mettre en valeur l’étendue du talent du castrat Domenico Annibali. Arsace et Aristobule sont des seconds rôles sans intérêt. Au final on compte donc deux rôles passionnants plus deux airs du meilleur Handel, l’œuvre est donc loin de mériter un tel mépris de la part des musicologues.

Et c’est ce que l’équipe musicale réunie ce soir là s’est attachée à nous prouver : comme on pouvait s’y attendre sur le papier, les voix furent bien plus convaincantes que l’orchestre. Cela dit, Il Complesso barocco s’est avéré bien meilleur qu’à son habitude, pour avoir souffert plusieurs de leurs performances et après la mollesse voire le ratage de leurs derniers disques (Ezio, Alcina, Airs de Porpora), on est ravi de les retrouver aussi bons que lors du Motezuma (lien) en ce même lieu. Peu de temps après le concert, la retransmission radio de l’Agrippina de Madrid confirme leur forte amélioration, surtout chez les violons qui sont bien plus fins et dynamiques qu’à l’habitude : est-ce du à leur nouveau premier violon (comme me le suggèrait Bajazet) qui vient donner les impulsions qu’Alan Curtis ne lance que grossièrement ? Reste que beaucoup d’airs souffrent du légendaire manque de dramatisme de cet ensemble : le premier air de la basse par exemple est joué bien trop lentement, mettant en difficultés le chanteur  forcé d’allonger ses notes, là où il faudrait des syllabes lapidaires pour impressioner; idem pour l’air de doute avec hautbois concertant de Berenice qui rappelle le « Pensieri voi mi tormentate » d’Agrippina, et souffre d’une éxécution « trouée », on craint à chaque fin de phrase du hautbois que la musique ne reprenne pas, or ce qui pourrait être un bel effet angoissant se transforme en déchiquètement du tissu musical.

 

Il faut dire que les chanteurs ce soir avaient de l’énergie à revendre,  et que l’orchestre en a sans doute bénéficié.  Mary-Elen Nesi déçoit par rapport à son Faramondo un mois plus tôt : à croire que l’impréparation l’a trouvé moins prudente et lui a mieux réussi ; ici l’actrice est souvent fade et la chanteuse manque d’aura, voire de voix, ses vocalises sont inaudibles. Vito Priante ne pousse pas le volume de sa voix à l’excès pour une fois, dommage que le rôle ne soit pas porteur et ne paye pas cette retenue vocale. Je suis de plus en plus séduit par la voix de Cyril Auvity qui gagne en graves et en assise d’années en années, de plus il quitte peu à peu son flegme pour ne pas dire son ennui dans le seria, les récitatifs sont habités d’une flamme qui rappelle son engagement dans la tragédie lyrique ; malheureusement l 'italien est vraiment mauvais et l’émission souvent trop nasale produit un chant qui manque de relief et de perspective. Ingela Bohlin n’avait pas ce soir le rayonnement vocal de ses Iole ou Morgana, et encore moins l’aplomb dramatique : la faute au rôle ou à une méforme passagère dont ce dernier a pâti ?

http://klassikaraadio.err.ee/images/files/RominaBasso180.jpg

Soirées après soirées, Romina Basso quitte la timidité de ses débuts pour affirmer une personnalité artistique fascinante. D’un rôle souvent bassement stéréotypé, elle sculpte un personnage époustouflant : le corps de la chanteuse d’abord est à l’image de sa suprématie vocale, aux inflexions des mains, des bras, des doigts, aux mouvement de la tête, répondent des messa di voce, des coloratures, des rubatos, des variations de la pression de l’air dans la gorge  qui s’enchainent de façon délirante et avec une maitrise redoutable.  Cet excès de maitrise permet au spectateur de deviner avec quasi certitude quel effet suivra, et pourtant il ne manque pas de surprise,  dès le deuxième air ou dès la deuxième minute de récitatif, tous les effets sont connus, mais c’est leur enchainement qui surprend et fascine. A la façon d’une grande danseuse étoile qui ne capte pas l’attention par la nouveauté de ses pas, mais uniquement par son excellence technique à les exécuter et son implication émotionnelle.  Pour relativiser mon emballement, on pourrait cependant ajouter que Romina Basso manque  de pudeur, c’est une voix qui sait parfaitement traduire le clair-obscur, le sfumato,  se voiler de mystère mais pas se retirer dans la contrition (voire le too much de sa mort de Didon sur Youtube), d’où sa difficulté à rendre le sacré voire son obscénité dans ce répertoire (Juditha Triumphans ici même).

Klara Ek retrouve en Berenice l’applomb de sa Vitellia de Gluck et prouve qu’elle est aussi à l’aise pour jouer les amantes éplorées que les reines soucieuses de leur empire amoureux.  J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de sa voix et de son timbre légèrement pincé, elle se révèle de plus extraordinaire bel cantiste.

Fagioli_Franco_klein.jpg

Franco Fagioli n’est pas inconnu des baroqueux : on a déjà pu l’entendre à Paris dans Tolomeo et à Zurich en Cesare épris de Cécilia Bartoli, le timbre était alors assez laid et la technique déjà peu orthodoxe le classait parmi ces contre-ténors interessants mais à la limite du miaulement de chat de gouttière. Puis sa performance en Ezio de Gluck m’avait soufflé, j’étais donc impatient de connaitre son évolution, et je n’ai pas été déçu. C’est la voix de contre-ténor la plus puissante que je connaisse et ce aussi bien dans des graves somptueux que dans des aigus fulgurants ; et cette étendue ne se retrouve pas uniquement dans les passages lents comme chez ses plus valeureux collègues, la fureur de son air infernal est époustouflante d’audace et de maitrise. Pour arriver à ce résultat sensationnel, la technique est forcément très personnelle pour ne pas dire étrange, et cela se voit physiquement, je n’ai jamais vu un chanteur faire autant de grimaces, par moment cela rappelle le comique troupier d’un LeLuron imitant Mitterand : mouvements de lèvres incontrôlés, paupières mitraillettes, épaules de pantin désarticulé, et évidemment aucune prestance. Le contraste entre l’ouïe et la vue est plus que troublant. A part cela, Franco Fagioli est aujourd’hui pour moi le seul contre-ténor capable d’assumer la virtuosité des castrats avec Cencic : tous deux ont une tessiture très large, Fagioli l’emporte par la puissance, Cencic par la rondeur du timbre. Le voilà dans le grand air de la seconde version de l'Ezio de Gluck (sorti en cd), puis dans un air de Teseo de Handel débutant par une superbe messa di voce.







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28 décembre 2009 1 28 /12 /décembre /2009 15:18
Cecilia Bartoli au Théâtre des Champs-Elysées
Sacrificium


Il Giardino Armonico
Giovanni Antonini


20 novembre 2009

Nicolò Porpora : Sinfonia extraite de Meride e Selinunte (1726)
Nicolò Porpora : "Come nave", air extrait de Siface (1725)
Riccardo Broschi : "Chi non sente al mio dolore", air extrait de Merope (1732)

Nicolò Porpora : "In braccio a mille furie", air extrait de Semiramide riconosciuta (1729)
Nicolò Porpora : Ouverture et "Parto, ti lascio o cara" de Germanico in Germania (1732)
Francesco Maria Veracini : Ouverture n° 6 en sol mineur (Allegro)
Leonardo Vinci : "Cervo in bosco", air extrait de Medo (1728)
Leonardo Leo : "Qual farfalla", air extrait de Zenobia in Palmira (1725)   
Francesco Araia : "Cadrò, ma qual si mira", air extrait de Berenice (1734)

Entracte   

Nicolò Porpora : "Usignolo sventurato", air extrait de Siface (1725)
Carl Heinrich Graun : "Misero pargoletto", air extrait de Demofoonte (1746)
Giuseppe Sammartini : Concerto en fa majeur pour flûte à bec, cordes et basse continue (Allegro assai)
Antonio Caldara : "Quel buon pastor", air extrait de La Morte d'Abel (1732)
Nicolò Porpora : Ouvertures des cantates Gedeone (1737) et Perdono, amata Nice (1746)
Leonardo Vinci : "Quanto invidio la sorte... Chi vive amante", récitatif et air extraits de Alessandro nelle Indie (1730)
Nicolò Porpora : "Nobil onda", air extrait d'Adelaide (1723)

Bis
Georg Friderich Handel: "Lascia la spina", air extrait d'Il Trionfo del Tempo e del Disinganno (1708)
Broschi: "Son qual nave" (da capo), air extrait de Artaserse (1734)
http://www.konzerthaus-dortmund.de/binary.ashx/select=E0E7/~image/197937

Petit ajout à l’article de Clément concernant le disque. Les extraits musicaux sont issu d'un enregistrement privé du concert de Barcelone en décembre accompagné par Il Giardino Armonico.


Louons d’abord la générosité du programme : un récital de 3 heures enchainant des airs impossibles et épuisants, c’est un tour de force digne de son marathon Malibran à Pleyel. On peut adresser le même reproche qu’au disque à propos de l’alignement d’airs censés être pleinement marquant isolés, ces zéniths de virtuosité ou ces abymes d’expression y perdent en altitude et en profondeur. Néanmoins, voir chanter ces airs sur scène est bien plus impressionnant qu’au disque où l’on soupçonne toujours les trucages du micro et de la console de son : le concert nous prouve donc que des trucages il y en a finalement peu eu, et je le prouve, voilà le redoutable air de la Berenice d'Araja que je trouve encore plus excitant en live bien que moins impeccable stylistiquement.


Bartoli est donc clairement capable d’assumer ces airs en concert. Et puis il faut la voir se lancer dans les vocalises de cet air en bloquant les cervicales pour lancer l’immense vocalise en respirant le moins possible, on comprend tout l’effort physique que ces airs exigent, même pour une chanteuse rompue à ce répertoire (d’ailleurs elle ne s’était sans doute que très peu chauffée la voix pour tenir la distance, le premier air « Come nave  in mezzo all'onde» était joué plus lentement qu’au disque et manquait de fluidité, les vocalises étaient dures).

bartolitcePhoto: Kasia Wandicsz pour Paris Match

De physique il en est bien évidemment aussi question ; le défilé des costumes d’abord : entrée triomphale et applaudie en pantalon, frou-frou du foulard et chapeau feutre, puis effeuillage en allant vers les lamenti chantés humblement en chemise ; on la retrouve ensuite en grande robe rouge, immense drapé en traine mais jambes et collants à moitié dévoilés, plumes rouges dans le dos qu’elle arrache rageusement à la fin du « Son qual nave ». Et puis Bartoli c’est toujours un bagou en scène qui emporte immédiatement la sympathie, un franc-chanter si je puis dire: elle s’amuse des silences suspendus à la fin d’une longue vocalise et le sourire faire toujours briller la vocalise avec l’éclat de la simplicité, bel oxymore.

Concernant les inédits, nous pûmes découvrir le très beau lamento de la Merope de Broschi, on reconnait tout de suite la style de Farinelli par l’abus du canto di sbalzo jusque dans cet air désespéré et que Bartoli réussit parfaitement à intégrer.

Le célèbre « Cervo in bosco » de Vinci que Farinelli aimait tant est magnifiquement rendu, avec un naturel et un allant roboratif (j'utilise beaucoup ce mot en ce moment...), on s'étonne qu'il ne figure pas sur le disque à la place du très mécanique « Che timea Giove regnante ».

Le second air de Vinci « Che vive amante » est agréable mais sans grand intérêt musical, il permet juste une réspiration joyeuse parmi tous ces airs excessifs et à Bartoli de faire valoir son talent comique.

Beaucoup d’inédits dans les morceaux joués en interludes aussi : hélas trop courts, on a souvent que des parties d’ouverture, peu éloquentes. Mais on a tout de même pu gouter à Merida e Selinunte et Germanico in Germania de Porpora, l'ouverture n°6 de Veracini et le concerto en Fa pour flûte à bec de Sammartini, ce qui n'est pas rien!

J’ai d’ailleurs trouvé Il Giardino armonico très inégal ce soir : très brouillon au commencement, avec des problèmes d’équilibres entre pupitres, voire de netteté des solistes tout bêtement, étonnant pour un concert qui a déjà tourné et été travaillé pour le disque. Heureusement cela s’améliore au fur et à mesure de la soirée pour atteindre des sommets sur l’ouverture des cantates de Porpora, (Gedeone et Perdono, amata nice) vraiment sublimes et bien plus riches harmoniquement que le style napolitain ne l’exige. (Et je précise que pour l'ensemble du concert j'ai trouvé l'orchestre bien meilleur à Barcelone).


Ce qui fut par contre très réussi, c’est l’attention portée à ne jamais couvrir la chanteuse, ni la bousculer ; par contraste, les reprises de l’orchestre quand la chanteuse se tait lors des lamentos font exploser en musique tout ce que le chant et la pudeur de l’artiste retenaient contrit, dans une gorge serrée, juste assez pour pouvoir chanter, à la limite, limite humaine quand l’orchestre déploie une force plus cosmique. Inversement l'orchestre sait aussi venir à la rescousse des limites vocales de la chanteuse et la porter dans les moments de grande virtuosité en se faisant le relai de l'incroyable energie qu'elle déploie. Des nouveautés ont aussi été ajoutées par rapport au disque comme ces doubles flûtes dans le « Qual farfalla », ça alourdit un peu le vol du papillon mais donne plus de couleurs à ses ailes.

Bref un concert fabuleux… auquel le film tourné à Caserte diffusé sur Arte réçemment et qui devrait sortir en DVD en mars ne rend pas du tout justice : playback sur le disque, réalisation très classique, angles de prise de vue très douteux (dos à la salle !) ou dans des situations qui font très cheap par rapport à la musique foisonnante (et puis chanter « Ombra mai fu » sous les arbres alors qu’il fait encore à moitié nuit…).

Par contre bonne nouvelle, une nouvelle date a été ajoutée pour le Giulio Cesare avec Christie à Pleyel (sans Jaroussky, mais toujours avec Dumaux, Stutzman… et Scholl…). Et prochaine prise de rôle pour Cecilia, Norma à Dortmund avec Hengelbrock.

Pour terminer on notera que le disque se vend exceptionnellement bien puisqu'il est devenu disque de platine en moins de 3 mois en France, preuve que travail éditorial et musicologique seront toujours plus efficaces contre le téléchargement illégal que tout un inutile arsenal législatif.

http://www.konzerthaus-dortmund.de/binary.ashx/select=E0E6/~image/198069

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13 décembre 2009 7 13 /12 /décembre /2009 17:50

Un nouvel article de Caroline. Merci à elle!


Opéra royal de Versailles, le 15 novembre 2009.

 

 

Quelques réflexions sur

 

L’Amant jaloux ou Les fausses apparences

 

Comédie mêlée d’ariettes (1778)

Musique d’André Ernest Modeste GRETRY sur un livret de Thomas d’Hèle

 

 

Direction musicale, Jérémie Rhorer
Mise en scène, Pierre-Emmanuel Rousseau
Décors, Thibaut Welchlin
Costumes, Pierre-Emmanuel Rousseau et Claudine Crauland
Lumières, Gilles Gentner
Création maquillage et coiffure, Laure Talazac

Réalisation des toiles peintes, Antoine Fontaine

Léonore [jeune veuve vivant chez son père], Magali Léger
Isabelle [amie de Léonore que l’on veut marier de force], Claire Debono
Jacinte [domestique de Léonore], Maryline Fallot
Florival [militaire français portant secours à Isabelle], Frédéric Antoun
Don Alonze [l’amant jaloux de Léonore], Brad Cooper
Lopez [le père de Léonore], Vincent Billier

Le Cercle de l’Harmonie

 

 ajv-copie-1


Que nous chantez-vous là ?

 

 

L’Amant jaloux est une comédie. Légère, enlevée, elle fait sourire, pas jaune, n’oublie pas de bien finir, d’aller là où on l’attend. Ce n’est pas une farce, ce n’est pas une satire, ce n’est pas une charge. C’est gentil. On pourrait presque la résumer ainsi : tout est bien, pour qui aime bien et est aimé de même. Et c’est sans doute moins donné pour faire rire que pour être applaudi de bon cœur.

Seulement une comédie, pour fonctionner, doit être ancrée dans son temps, dire des choses en un sourire, des choses peut-être pas si anodines que cela. Est-ce l’effet de mes lunettes ? Toujours est-il que je perçois clairement dans cet Amant-là, si ce n’est une revendication, au moins une aspiration de toute une société.

On pourra, par ailleurs, trouver qu’un tel sujet a été tricoté pour plaire aux femmes. Je ne connais pas M. d’Hèle et ne lui ferai pas de procès d’intention, mais ça ne me paraît pas faux. Une telle pièce devait alors fatalement plaire aussi aux hommes qui aiment plaire aux femmes… et qui les emmènent au théâtre. Ce qui finit par faire du monde, les dames étant sans pouvoir mais pas sans influence… Ce qui n’est pas sot raisonnement, d’un point de vue d’auteur.

 

Qu’est-ce qu’on nous raconte, au fond ?

 

Une jeune fille, Isabelle, refuse d’être violée lors de sa nuit de noce ; elle regarde du côté du fringant militaire qui lui vient en aide, le trouve beau et chevaleresque, a bien conscience que même si ce ne peut être pour la vie, c’est déjà bien tentant là, maintenant, et puisque finalement il demande sa main, tout est bien (mais même sans rebondissement final, on se doute que ça n’aurait pas été mal non plus…).

Léonore passe totalement outre l’autorité d’un père. D’ailleurs Lopez souhaite que sa fille ne se remarie pas pour qu’un gendre ne chamboule pas sa fortune ; ce n’est pas là qu’égoïsme et avarice, je trouve ; car il ne semble pas complètement imbécile, cet homme, il sait bien que selon l’ordre des choses, il mourra avant elle, et finalement en pensant d’abord à son intérêt particulier d’homme d’affaires, il évite aussi à sa fille un mariage rendu obligatoire pour vivre décemment ; en disposant d’une fortune personnelle, elle dispose aussi d’elle-même, elle devient libre, ou disons un peu plus libre que d’autres ; l’argent fait bien entendu de ces miracles-là. Mais Léonore n’est pas dans le calcul, elle est trop jeune et ardente pour cela ; d’ailleurs elle est déjà amoureuse, elle a déjà trouvé et dit oui à l’homme qu’elle aime. Seulement ce oui-là n’est pas encore définitif.

C’est qu’elle ne voudrait pas d’un mari jaloux ; c’est-à-dire autoritaire, qui ne laisse pas de libertés à sa femme, qui se méfie de chacun, qui l’empêche d’avoir des amis et des secrets avec eux, secrets qui ne le regardent, lui, en rien. Elle veut être aussi libre de l’aimer que de vivre en société et de voir qui elle veut, comme elle veut. Un mari pire qu’un père, non merci !

Pour mener à bien toutes ces belles aspirations, il faut compter sur une nécessaire fidélité ancillaire (au sens d’avant les amours !). Alors Jacinte s’en mêle. On n’est plus au temps où les domestiques craignaient les coups de bâton. On n’est pas non plus dans l’insolence de « lutte de classes », il n’y a pas ici de revendication politique de cet ordre (au contraire des Noces), Jacinte fait simplement son travail, elle est fidèle à sa maîtresse, loyale envers elle, comprenant bien leurs intérêts mutuels, aussi. Pour cela elle peut se jouer d’un père qui la paye, et si elle allait un peu trop loin et qu’elle était renvoyée, ce serait surtout dommage pour Léonore plus que pour Jacinte, car elle retrouverait facilement une place, sans doute auprès d’une dame de plus haut rang, on appréciera et payera au prix le plus fort ses qualités de vivacité d’esprit, d’à propos et de discrétion tout au service de qui elle sert. Quand la parole se fait de moins en moins d’honneur, le secret de son intérieur, de sa vie privée si vous voulez, n’en prend que plus de prix…

 

Il me semble frappant de voir combien tout cela va dans le sens d’une nouvelle société qui se profile, pour ne pas dire qui s’instaure. Ce père n’est pas montré en crétin indécrottable, borné et plein de ridicules ou de travers risibles, c’est simplement un homme d’une autre génération, qui voit bien qu’il se passe des choses dans sa maison, mais tout lui échappe, il est dépassé. De nouvelles pratiques se mettent en place, en effet. Une aspiration à un intérieur nouveau est en marche : le droit au bonheur domestique.

Et la Cour applaudit !... Eh, oui ! Elle aspire, elle aussi, au bonheur de l’individu ! Tout est dit. Cette aristocratie deviendra bourgeoise, en effet. Son dernier roi le sera d’ailleurs plus qu’un autre, comment pourrait-il en être autrement ? Mais… ce sera le dernier.

N’est-elle pas simple, la comédie ?...

 

 

 

Retour à Versailles…

 

 

Décidément en 1778, Grétry ne perd pas de temps et aime les choses rondement menées. Puisqu’il nous sert une tragédie (Andromaque) en 1h40, il ne faut pas trop s’étonner qu’il lui faille une demi-heure de moins pour une comédie. Ça va vite, ça fuse, ça s’enchaîne ; tout doit être attrapé au vol et digéré dans l’instant. L’agilité doit donc être partout : dans l’action, dans les répliques, dans l’esprit et dans les gosiers.

Pour ne rien perdre de tout cela il est impératif d’avoir le ton juste, ainsi qu’une intelligibilité claire et nette, aussi bien dans les dialogues que dans les ariettes. Hélas ! La pâte qui nous est parvenue à Versailles était à faire enrager, l’esprit y était quelque peu perverti et la distribution pas à la hauteur.

Sans doute Rohrer est-il pour quelque chose dans l’effet « pâte » des parties chantées ; on ne comprenait presque pas un mot (bon, j’exagère un peu, mais quand même…). On ne peut tout de même pas dire que tout était forte et qu’il couvrait les chanteurs, cependant un peu plus de nuances, de subtilités et moins de volume auraient sans doute aidé. Mais je pense que le problème venait aussi d’ailleurs, de l’acoustique peut-être ( ? j’ai eu l’impression que le son de la fosse me parvenait beaucoup plus précis que celui la scène… ?), des chanteurs aussi sans doute.

 

Deux passaient plutôt bien : Claire Debono et Brad Cooper, mais étaient malheureusement trop appliqués à articuler leur texte pour être passionnants et pour ce qui est du naturel… hélas ! J’ai été plutôt déçu par C. Debono qui s’empêtrait dans son français et ne semblait vraiment pas à l’aise (son costume ne l’arrangeait pas non plus, la couleur fuchsia ne convenant pas à tout le monde…), alors que l’impression que j’en avais gardée n’était pas mauvaise lors du Lully (Armide) de la saison dernière.

Le chant de Cooper n’a rien d’enchanteur, il ennuie assez. Et un jaloux qui ennuie…

Frédéric Antoun était annoncé souffrant et l’était sans doute. Son personnage est brossé correctement, mais un peu plus d’allant et de séduction n’auraient pas nuis. Vocalement, il devait effectivement être gêné. Dommage ! car on nous en avait dit grand bien.

 

Magali Léger campe fort bien sa Léonore. C’est le genre de rôle qui lui convient parfaitement, même si une direction de jeu un peu plus attentive lui aurait permis d’être parfois plus à l’aise ou de faire mouche en épaississant un peu la psychologie de son personnage [non, M. Rousseau, Alonze ne peut pas jeter Léonore à terre ! c’est un amant, pas un mari ! à trop vouloir montrer un parallèle avec Les noces vous le prenez un peu vite pour le comte – qui lui, soit dit en passant, n’est pas un jaloux, mais bien autre chose ! et pour le coup, ce comte-là n’est pas bourgeois – Bref, je proteste ! ^^]. La situation de jeune veuve permettait bien des choses, il me semble et sa Léonore reste un peu trop jeune fille à mon goût. Le problème avec Magali Léger, c’est que la voix ne suit pas. Elle est souvent à la peine et fait des choses pas bien belles. Des voix habituées à Mozart devraient très bien défendre Grétry, je pense. Je me souvenais de M. Léger dans L’enlèvement au sérail, mais il m’a semblé qu’elle avait pas mal perdu, ou alors la rapidité de l’écriture ne permet pas de se rattraper et ce rythme de comédie à la cravache ne fait vraiment aucun cadeau aux interprètes.

 

Maryline Fallot n’a pas donné la Jacinte que j’attendais et celle qu’elle a servie à la place ne m’a pas convaincue. Elle a commis, pour moi, des contresens. Peut-être pas de son fait, d’ailleurs ; on lui a sans doute demandé d’être ainsi ; mais j’ai tiqué, évidemment. Sa servante est trop ‘dame’, son phrasé trop maniéré là où il aurait fallu du naturel et de la spontanéité. Jacinte doit rester à sa place, nous ne sommes pas dans le mélange des rangs. Cette Jacinte, à l’échine trop raide, n’est pas loin de vouloir jouer les maîtresses de maison, on se demande peut-être même parfois si elle n’aspirerait pas à devenir la maîtresse de Lopez pour mieux le mener ainsi. J’ai dit bourgeois, oui, mais pas encore à ce point ! Ayez tout de même la patience d’attendre un peu avant de nous servir ce plat-là ! Le maître de maison qui couche avec la bonne parce que c’est bien pratique et que chacun y trouve son compte, ce sera pour un peu plus tard. Non, non ! Attendez un peu, chère Jacinte. Gardez pour quelque temps encore votre rôle de fine mouche qu’il convient d’avoir avec soi, heureuse de vivre, pétillante et piquante, mais qui sait garder son rang. En allant trop vite, vous vous feriez haïr de votre maîtresse au lieu de vous en rendre indispensable et vous ne mettriez plus le public dans votre poche ; vous le feriez rire encore, mais il vous mépriserait. Le XIXe siècle viendra bien assez vite !... Bon, pour moi, cette Jacinte était ratée et ce n’est pas la voix qui pouvait rattraper grand-chose.

J’oubliais le père de V. Billier ! Eh bien, oui… je l’ai oublié.          

 

 

Ce que j’ai bien retenu par contre, c’est l’effet des décors en toiles peintes ! C’était une première pour moi et je n’avais jusque-là pas bien compris (oh, vous savez, moi, tant que je n’ai pas vu, je ne me rends pas compte… ^^) à quel point ce peut être modulable et lié au décor praticable. D’où les effets de surprise, puisqu’on ne sait plus trop si c’est un trompe-l’œil sur un élément fixe ou un élément réel peint. J’ai donc fait quelques « ah ! », « oh ! », « miam miam ! », « clap clap » comme à 7 ans et demi. Bon, n’allez pas croire non plus que je ne voudrais plus voir que des mises en scène dans des décors en toiles peintes, mais de temps à autre, quand c’est réussi et dans un tel lieu, ça ne fait pas de mal.

Il faut peut-être préciser qu’il ne s’agissait pas ici de reconstituer une représentation du XVIIIe siècle, mais plutôt de l’évoquer. Dès le départ, pendant l’ouverture et avant que ne commence le premier acte, on voit le décor se monter, si je puis dire. Les projos (pas d’historicité revendiquée, donc !) remontent dans les cintres, trois rangs de colonnes en descendent ainsi que plusieurs pans et niveaux de toiles peintes : la bibliothèque est prête. Le rideau retombe, quand on le relèvera les meubles seront en place et l’intérieur parfaitement rendu.

Au deuxième acte, on aura les appartements de Léonore ; on est évidemment on ne peut plus dans l’intimité de son intérieur, puisqu’elle va même y prendre son bain. Tout cela seconde bien, en effet, le propos de la pièce. Je vous laisse la surprise de la sérénade (« Oh !... clap clap !... »).

Il ne manque rien non plus au pavillon du jardin du troisième acte ; même les paons sont raccords !

Tout cela est parfaitement huilé et s’emboîte au millimètre. Je ne sais pas trop comment ça voyagera jusqu’à l’Opéra-Comique. J’avais compris que ce type de décors appartenait à un théâtre en particulier ; ils auront évidemment prévu les ajustements nécessaires. Je suis en tout cas très contente d’avoir vu cela de la loge princière à Versailles ; et puis d’ailleurs… l’Opéra-Comique… c’est un peu bourgeois, non ?...

PAN ! PAN !

Mais laissez les paons tranquilles !

 

 

C.

 

 

 

PS : Notez que le programme, que je n’ai pas encore eu le temps de lire, édité par le CMBV pourrait passer pour un copieux Avant-Scène… si ce n’était le format.

 

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